Dans une société qui prône la pseudo-sainte maternitéparfaite, faire ces trois choses peut donner de la matière à celles et ceux qui adorent juger les autres parents. Et tu sais quoi ? Bah tant pis, c’est comme ça.
Je ne pense pas être une mauvaise mère. Déjà, parce que je me questionne sans arrêt sur le fait d’avoir peur d’être une mauvaise mère. Si je me pose la question, si je me triture le cerveau pour savoir si je fais bien les choses, c’est que ça ne doit pas être si terrible que ça en vrai. Disons que j’essaye de me rassurer comme je peux, face à l’avalanche d’injonctions parentales qui viennent avec le package de la naissance, une fois que le test de grossesse s’affiche positif sur le petit bâtonnet en plastique.
Pourtant, même si j’essaye de faire ce que je peux, comme je le peux, pour ne pas traumatiser mes enfants, pour ne pas qu’ils se sentent en insécurité, ou rejetés, ou mal-aimés, il y a trois choses que je fais, et ce n’est pas grave.
Ce n’est pas grave parce que ce n’est pas une habitude, ce n’est pas grave parce que ça ne va pas pourrir leur enfance, ce n’est pas grave parce que merde, je fais ce que je peux.
Mon fils de deux ans et demi regarde des dessins animés
As-tu déjà essayé de télétravailler avec un enfant de deux ans et demi qui ressemble vachement à une tornade ? Moi, oui. Quand il est malade et qu’il ne peut pas aller à la crèche et que je ne peux pas poser un jour « enfant malade » au boulot parce que ce n’est pas rémunéré, que mon mec a un taf qui ne lui permet pas de télétravailler, eh bien, je fais avec. Et quand ça arrive, je compose avec ce que j’ai, à savoir des articles à écrire vite d’un côté, et un enfant à maintenir en vie le plus longtemps possible, de l’autre.
Pour cela, pas le choix : une fois que son activité pâte à modeler est terminée (et que la dit-pâte finie étalée sur les fenêtres et les murs), une fois que la maison Playmobil a été démontée pièce par pièce, une fois que les livres ont été déchirés, je cède et je lui mets un épisode de Bluey. Pourtant, à en croire les différentes études qui s’écharpent sur le sujet, les écrans avant 3 ans, c’est le mal ultime. C’est la fin de la civilisation, des haricots et tutti quanti. Bah moi, les écrans, ça me permet de pouvoir boucler mon papier et de garder mon boulot, alors bon. Mauvaise mère ? Oui, peut-être.
Mais encore une fois, avec de la mesure et de la nuance, et sans abuser, ce n’est pas un ou deux épisodes de Bluey qui va cramer ses neurones. Par contre, voir sa mère péter les plombs parce qu’elle doit se diviser en trois personnes, ça risque de créer chez lui plus de séquelles émotionnelles.
Je n’aime pas jouer avec mes enfants
Ça, c’est le sujet à controverse : les parents devraient jouer avec leurs enfants. Pour plein de raisons parfaitement audibles hein, comme créer des moments complices, fabriquer des chouettes souvenirs, avoir une bonne interaction, etc. Moi, ça me soule. Je n’aime pas ça, je m’ennuie, j’ai envie d’être ailleurs, je n’y arrive pas. Alors, je ne le fais pas
Je pense queje me sacrifie suffisamment en tant que mèreet en tant que personne pour avoir le droit de ne pas faire ce genre d’activités qui me gavent. Ça ne veut pas dire que je ne fais rien avec mes mômes, bien au contraire ! On cuisine ensemble, on se balade, on regarde des films avec ma grande fille, je leur lis des histoires. Mais jouer, c’est non. Je passe mon tour, et ce n’est pas grave..
Ils mangent très (trop) souvent des pâtes :
J’adore cuisiner. J’adore inventer des plats, tester des saveurs, mélanger des trucs. Mais j’aime bien aussi ma tranquillité d’esprit, et essayer d’alléger le plus possible la tension du tunnel du soir.
Pour les non-parents, le tunnel correspond à ce moment où les enfants sortent de l’école ou de la garderie, jusqu’au moment où ils vont se coucher. Entre-temps, il faut faire les devoirs, les doucher, les mettre en pyjama, les faire manger, leur lire une histoire, brosser les dents et hop, au lit. Ce moment dure environ deux heures, et c’est un mini-marathon quotidien.
En conséquence, leur faire un truc à manger digne de ce nom qui leur plait (parce que c’est surtout ça, le problème, c’est leur cuisiner un truc qu’ils vont manger et aimer), c’est souvent compliqué. Et souvent, quand je n’ai pas prévu de repas à l’avance, j’opte pour les pâtes au fromage. C’est rapide, ils dévorent, et tout le monde est content. Niveau légumes, je me déculpabilise en me disant qu’ils ont mangé un repas varié à la cantine ou à la garderie le midi, et qu’on se rattrapera le lendemain ou le week-end, quand j’aurai davantage le temps de cuisiner. Mais en vrai, ce n’est pas grave, ce n’est que des pâtes.
Personnellement, un de mes meilleurs souvenirs d’enfance, c’est quand ma mère organisait un petit déjeuner du diner : elle rentrait crevée du boulot, avait la flemme de cuisiner, et on mangeait un bol de céréales ou des tartines. Elle devait sûrement culpabiliser, mais moi, je trouvais ça trop chouette.
Peut-être que plus tard, mes enfants s’en foutront d’avoir eu des pâtes à manger un peu trop souvent le soir. Peut-être que plus tard, ils ne se souviendront pas que je n’aimais pas jouer avec eux. Peut-être que plus tard, ils ne m’en tiendront pas rigueur de les avoir collés devant la télé pendant que je devais bosser. Si ce n’est pas le cas, je m’en excuserai. Mais j’espère surtout qu’ils se souviendront que je faisais ce que je pouvais avec ce que j’avais.
Comment faire manger des légumes aux enfants ?
Si ton enfant a la phobie des trucs verts et qu’il refuse de croquer dans le moindre morceau de brocoli, je peux peut-être t'aider.
Pour des tas d’enfants, légumes = démons de l’enfer. Du jour au lendemain, alors que ton précieux héritier ne rechignait jamais pour manger tout ce qui était à sa portée (que ce soit comestible ou non, on parle quand même d’un petit être humain qui trouvait que les semelles des chaussures étaient dignes d’un restau étoilé) le voici qui boude systématiquement son assiette et son contenant, n’acceptant de manger que des pâtes, du chocolat et du poisson pané.
Alors ok, c’est sympa les pâtes, mais ce n’est pas ça qui vale nourrir correctement, nutritivement parlant. Mais qu’est-ce qu’on peut faire, en tant que bon parent relativement au bout du rouleau, face aux refus systématiques de la petite Marie-Louise qui estdevant son assiette ? Eh bien, on essaye ces quelques astuces, et on croise fort les doigts
Comprendre l’origine du problème
Le refus de se nourrir d’un enfant peut être une grosse source d’angoisse pour les parents. Quand ils voient que seules les coquillettes au fromage trouvent grâce aux yeux de leur héritier, ils paniquent, se disent que leur précieux va développer des carences, souffrir de malnutrition, pour finir par brûler des voitures à l’adolescence ou pire : devenir fan de Jul. Oui, un parent au bout du rouleau, ça part très vite dans le drama.
Mais sinon, si tu es dans cette situation et qu’on se pose deux minutes pour analyser le truc : est-ce que ton enfant refuse de manger autre chose que des pâtes — ou tout autre aliment — absolument partout, ou que chez toi ? Est-ce qu’à la crèche ou à l’école, il mange de tout ? Est-ce que l’équipe encadrante qui s’occupe de lui t'as déjà convoqué pour te dire que franchement là, c’était chaud, il ne mangeait rien ?
Si c’est le cas, consultes un professionnel de santé, ce n’est pas anodin, et il faut creuser pour voir ce qu’il se passe. Si ce n’est pas le cas et qu’il n’y a qu’avec toi que c’est compliqué : tant mieux, ça va être plus « facile » à gérer. Je mets le mot « facile » entre guillemets parce que tu sais bien que ça ne va pas non plus être une partie de plaisir, tu es parent avec toutes les injonctions qui vont avec, donc ça ne va pas se faire non plus finger in the nose. Mais au moins, il n’y a pas de pathologies, c’est quand même toujours ça depris.
Si ton enfant ne refuse qu’avec toi de manger autre chose que des pâtes, ce n’est pas grave en vrai, ce n’est qu’une phase (comme souvent dans la parentalité). Ça va passer, souvent tout seul, et ton enfant ne va pas manger que des poissons panés jusqu’à ses 37 ans. Promis, il finira bien par manger autre chose un jour, et on peut lui filer un coup de main pour accélérer le processus.
Faire manger de tout à un enfant : y aller en douceur
Déjà, première chose à savoir : on évite de forcer un enfant à manger. Souviens-toi plus jeune, lorsque qu’on te disait « tu n’auras pas de dessert si tu ne termines pas ton assiette » ou encore « tu ne quittes pas cette table sans avoir terminé tes brocolis ». Il y avait aussi l’option « Tu sais le nombre d’enfants qui ne mangent pas à leur faim ? Alors termine-moi tout ça ! » Oui, nos parents et grands-parents ont merdé sur ce coup-là, on peut le dire, nous et nos TCA.
La nourriture est un sujet si sensible et personnel qu’il faut essayer, autant que faire se peut, de ne pas en faire un truc énorme. Est-ce qu’il va mourir s’il ne mange pas des légumes à chaque repas pendant deux mois ? Non. Surtout qu’il en mange à la crèche, ça va, détends-toi.
Jean-Eudes ne veut pas manger ses petits pois ? Ok, mais il faut au moins qu’il en goûte un, pour connaitre le goût que ça a. Goûter à tout ou presque, sans forcer, en ajustant en fonction du moment, c’est aussi une option.
Aider son enfant à manger de tout, sans pression
Face à un enfant qui a une aversion pour les légumes, il y a quelques astuces pour l’aider à les apprivoiser, en douceur :
Le faire participer à la préparation du diner, en lui trouvant une tour d’observation (ou une chaise pour qu’il grimpe dessus) et en lui proposant de couper les légumes avec des outils adaptés. Pas mal de marques se sont lancées dans les objets de découpe spécialement pour les enfants, qui leur évitent de se trancher un doigt à la place de la courgette qu’ils voulaient découper. Le faire participer, c’est un bon moyen de l’aider à découvrir ce qu’il va manger, sans compter qu’il sera fier comme un paon d’avoir aidé à faire le diner, comme un grand.
Préparez des repas chouettes à déguster, et qui ne mettent pas le légume au centre, physiquement parlant. Des recettes de flans aux légumes, de pancakes à la courgette, de cake à la tomate et aux poireaux… Ce n’est pas l’inspiration qui manque !
Laisses-lui le choix de se servir. Au lieu de lui apporter son bol avec son repas tout prêt dedans, il peut participer en mettant lui-même ce qu’il souhaite dans son assiette. Niveau motricité et éveil aux sens, c’est pas mal. Évidemment, il ne faut pas qu’il y ait qu’un plat de pâtes à table hein, sinon ça ne marche pas. Mais si tu mets plusieurs bols avec des choses différentes dedans, en lui proposant de se servir, ça peut fonctionner.
Pour les plus petits, l’assiette à compartiments est une bonne option. Un peu sur le même principe que de se servir seul, le fait de voir plusieurs catégories d’aliments dans son assiette lui fait comprendre qu’il a le choix, et qu’il contrôle la situation, indépendant de toi.
Laisses-le patouiller avec ses mains. Bien sûr qu’on aime tous avoir un sol propre sans grains de riz, mais pour un petit, le repas passe aussi par le sens du toucher et de la vue. Laisses-le agripper avec ses petits doigts ce qu’il veut manger et l’enfourner, façon DME — la diversification alimentaire menée par l’enfant — et tout le monde sera content et détendu.
Lâches prise. Oui, je sais, ce n’est pas facile. Mais encore une fois, rappelle-toi que tout n’est que phase, et que son amour exclusif pour les pâtes finira bien par passer. Tant qu’il mange autre chose les midis quand il est à la cantine ou à la crèche, ça va, ça passe.
Si tu paniques à l’idée des futures grandes vacances qui approchent et au fait qu’il sera à la maison avec toi matin, midi et soir, laisses couler. Propose-lui de participer aux repas, mangez tous ensemble, propose-lui de goûter à tout, ne réagis pas avec colère s’il balance son assiette au sol, et respires par le ventre si ça arrive.
Conclusion :
Oui, c’est pénible comme phase, oui ça peut être stressant, mais ça va finir par passer, comme tout le reste. Encore une fois, rares sont les adultes qui ne se nourrissent que de coquillettes !
L’œuf ou la poule ? Lequel est arrivé en premier ?
Très ancien, le « paradoxe de l’œuf et de la poule » soulève de nombreux questionnements d’ordres philosophique et scientifique. Impossible à résoudre pour certains, réponse tranchée pour d’autres, le sujet n’obtient pas de consensus. Si la science semble avoir penché en faveur de « l’œuf en premier » — notamment avec la théorie de l’évolution de Darwin et la génétique de Mendel —, une étude israélienne apporte des réserves sur la certitude.
Alors que des réponses sont encore apportées par la communauté scientifique, le « paradoxe de l’œuf et de la poule » est en fait très ancien. Il vient du fait qu’aucune réponse ne serait satisfaisante ni logique. Si l’on répond « l’œuf », alors on se demande qui a pondu cet œuf. Si l’on répond « la poule », alors on se demande comment elle a pu naître, si ce n’est d’un œuf. Lorsque deux événements semblent à la fois être la cause et l’effet l’un de l’autre, il est alors inconcevable de comprendre que l’un d’eux ait pu précéder l’autre.
Si elle paraît simpliste, cette question traite pourtant de l’origine du monde (ou cosmogonie) et oppose donc deux camps. Aristote défend l’idée (finaliste) que la cause finale (la poule) est la raison d’être de tout (œuf compris). La poule serait arrivée en premier et l’œuf n’est rien d’autre qu’une poule en puissance. Pour lui, la « logique » précédemment évoquée s’oppose forcément à la chronologie d’un œuf précédant une poule.
« L’homme engendre l’homme », avait-il dit, niant toute théorie de l’évolution. Ce que Diderot rejette dans Le Rêve d’Alembert (1769) : « Si la question de la priorité de l’œuf sur la poule ou de la poule sur l’œuf vous embarrasse, c’est que vous supposez que les animaux ont été originairement ce qu’ils sont à présent. Quelle folie ! ».
Une question qui appelle d’autres questions
Une étude de 2015 suggère que la question n’est pas un paradoxe au sens biologique du terme, et qu’une définition précise de la question et l’examen des mécanismes sous-jacents possibles de l’évolution offrent une solution. « À partir de quel moment peut-on parler de poule ? », serait la vraie question à se poser et deux réponses restent possibles.
Si la spéciation — formation d’une nouvelle espèce — s’opère par mutations génétiques aléatoires dans l’embryon, alors l’œuf est le premier. Mais si l’on considère l’épigénétique comme un moyen de transmettre des changements adaptatifs chez une espèce, alors la poule est la première. Les auteurs de l’étude posent alors la question suivante : « Où le changement génétique a-t-il pris naissance, dans le soma de la poule, ou du coq, dans les œufs de sa mère ou dans le sperme de son père ? ».
« La première poule a dû être dérivée d’un embryon génétiquement identique »
Sur cette question, la science semble unanime : l’œuf a précédé la poule. D’une part, les premiers œufs retrouvés datent d’environ 190 millions d’années, donc avant l’apparition des gallinacés, probablement issus d’un œuf pondu par un autre animal. Ces œufs primitifs venaient des dinosaures, connus comme les ancêtres des premiers oiseaux. En outre, « nous pouvons être certains que les ancêtres de la poule ont tous eu des œufs comme stade initial de leur vie, non seulement depuis les dinosaures, mais aussi depuis l’époque où ils étaient des poissons [du clade des crossoptérygiens] », explique à Trust My Science le professeur en génétique évolutive John Brookfield, de l’université de Nottingham.
La question de savoir si la poule a précédé l’œuf n’a donc de sens que si l’on compare la poule adulte à l’œuf de poule. Roy Sorensen, philosophe à l’Université de Washington, évoque la notion intéressante de « pré-poule ». « L’idée est que Charles Darwin a démontré que la poule a été précédée par des poules limites et qu’il est donc simplement indéterminé de savoir où les pré-poules se terminent et où les poules commencent », écrit-il. Selon les lois de Mendel, un organisme est génétiquement fixé et la transition de pré-poule à poule n’a pu s’effectuer qu’entre une pondeuse et son œuf.
C’est d’ailleurs ce que confirme John Brookfield : « S’il y a eu un premier oiseau qui répondait à la définition de la poule, alors cette première poule a dû être dérivée d’un embryon génétiquement identique. Cet embryon se serait trouvé à l’intérieur d’un œuf et, en ce sens, l’œuf (c’est-à-dire l’œuf de poule) a précédé la poule. De même, s’il y a eu un premier dinosaure adulte, alors ce dinosaure a dû se développer à partir d’un embryon génétiquement identique à l’intérieur d’un œuf ». Voilà qui pourrait clore le débat.
La théorie de l’évolution appuie d’ailleurs cette idée : la première poule n’a pas pu apparaître telle quelle et a forcément été précédée d’un œuf de poule. En revanche, il est difficile de savoir avec exactitude de quand date ce premier œuf de poule, même si les premiers poulets domestiques datent d’il y a environ 7000 ans.
« La découverte des mécanismes épigénétiques pourrait soutenir le scénario de la poule en premier »
Selon la même étude de 2015, le cas de la « poule d’abord » implique des mécanismes évolutifs similaires à ceux envisagés par Lamarck, 50 ans avant la publication des travaux de Darwin. Selon Lamarck — qui ne s’oppose pas à la théorie de l’évolution, bien au contraire —, les organismes s’adaptent en développant de nouvelles variantes en réponse à des environnements changeants. Ces nouveaux traits adaptatifs deviennent héréditaires et le tout est transmis à la descendance.
Parce qu’elle semble s’opposer à la génétique de Mendel et parce qu’aucun mécanisme permettant l’hérédité des caractères acquis n’était connu, la théorie de Lamarck a été considérée comme totalement fausse pendant 200 ans. Cela étant, « ces dernières années, la découverte et la caractérisation des mécanismes épigénétiques qui permettent la transmission de caractères somatiques acquis à travers les générations pourraient soutenir le scénario de la poule en premier », écrivent les auteurs.
Une piste plausible (mais non démontrée) pourrait être celle où le changement épigénétique est d’abord transféré tel quel du soma (de la poule) à la lignée germinale (des œufs), et à un stade ultérieur, il est assimilé et remplacé par un changement génétique.
En fin de compte, le dilemme initial de « l’œuf ou de la poule » n’est donc pas vraiment un paradoxe, puisque des explications scientifiques peuvent être apportées par l’évolution. Chaque changement évolutif pourrait correspondre soit à un monde darwinien pur, dans lequel l’œuf aurait précédé la poule, soit à un monde lamarckien, dans lequel la poule aurait été la première. Le domaine de recherche est encore très actif, et un long chemin reste à parcourir avant de pouvoir évaluer la contribution des processus épigénétiques à l’évolution.
Le « Père-Lachaise des animaux », un des plus atypiques cimetières de l’Hexagone...
Le cimetière des chiens est l’un des plus anciens lieux de sépulture pour animaux en France (et le seul qui soit public).Fondé par la journaliste féministe Marguerite Durand en 1899 à Asnières-sur-Seine, au nord de Paris, il a accueilli les dépouilles de plusieurs dizaines de milliers d’animaux depuis sa création.
Situé à l’entrée d’Asnières, à quelques kilomètres au nord de Paris, le cimetière des chiens est un lieu bien particulier. Bordé par la Seine où l’on peut voir passer les péniches, dans un parc arboré, ce « Père-Lachaise des animaux » comme certains l’appellent prend des accents bucoliques ou plus fantasmagoriques en fonction de la météo et de la saison.
Il est ouvert depuis 1899 sur l’île des Ravageurs, un ancien îlot de la Seine dont le bras mort a été comblé à la fin des années 1970 afin de construire un nouveau pont prolongeant la ligne 13 du métro parisien entre Asnières et Clichy. De vieilles tombes vermoulues et bancales côtoient des caveaux en marbre où s’affichent parfois des messages un peu kitsch, mais remplis de l’émotion des anciens maîtres à leurs compagnons à poils ou à plumes.
« Pour comprendre comment est né ce cimetière bien particulier, il faut expliquer le contexte de l’époque, explique François-Xavier Chaix, archiviste à la mairie d’Asnières.Au cours du XIXesiècle, la condition animale évolue fortement et s’améliore pour nos amis les bêtes. »En effet, lentement, le statut de l’animal change. Il n’est plus seulement vu comme un utilitaire, mais devient un véritable compagnon. En 1845, la Société protectrice des animaux est créée à Paris – sur le modèle de l’association anglaise, fondée plus de vingt ans plus tôt – par le comte de Grammont, affligé par les mauvais traitements infligés aux chevaux dans les rues de la capitale.
Une question de salubrité publique
Si le sort des animaux s’améliore de leur vivant, rien n’est prévu après leur mort.« Théoriquement, les cadavres devaient être envoyés à l’équarrissage dans les 24heures,poursuit François-Xavier Chaix. Mais la plupart du temps, les cadavres des animaux étaient jetés aux ordures ménagères, quand ce n’était pas directement dans la Seine ou dans les anciennes fortifications de Paris. Cela a rapidement posé des problèmes. »
La capitale connaît au cours de ce siècle une série d’épidémies de choléra et de gale. Alors que les progrès de scientifiques comme Pasteur poussent les autorités à l’hygiénisme, le code rural est modifié en 1898 : les corps des animaux domestiques pourront être enterrés « dans une fosse située autant que possible à cent mètres des habitations et de telle sorte que le cadavre soit recouvert d’une couche de terre ayant au moins un mètre d’épaisseur ». Après cette nouvelle loi, l’ouverture d’un cimetière animalier devient possible.
La création du cimetière
Cette idée sera mise en œuvre par Marguerite Durand. Cette journaliste féministe, soucieuse du bien-être animal, décide de fonder ce cimetière d’un nouveau genre avec l’aide de l’avocat Georges Harmois. « Ils jettent leur dévolu sur cette île, qui appartient au baron de Bosmolet, et lui rachètent la moitié située en amont du pont de Clichy,ajoute l’archiviste.Ils fondent la Société française anonyme du cimetière pour chiens et autres animaux domestiques le 2mai 1899, après l’obtention de l’autorisation du préfet de la Seine. »
Amis des bêtes, les fondateurs précisent cependant dans les statuts du nouveau cimetière qu’il est interdit de singer des funérailles humaines lors des enterrements. Plusieurs constructions furent projetées, comme un columbarium et un musée des animaux domestiques, mais seuls les jardins, le bâtiment d’entrée et la nécropole sont réalisés. Cette dernière est divisée en quatre quartiers : celui des chiens, celui des chats, celui des oiseaux et celui des autres animaux.
L’architecte parisien Eugène Petit, dont plusieurs immeubles du XIVe arrondissement portent la signature, est chargé de dessiner l’entrée du cimetière. On lui doit le portail monumental de style Art nouveau de près de 25 mètres.
Les « stars » du cimetière
Dès l’entrée du cimetière, une grande statue représentant un épagneul des Alpes avec sur son dos un enfant accueille le visiteur.« Ce cénotaphe (tombeau élevé à la mémoire d’un mort mais qui ne contient pas son corps, NdlR.) a été dressé dès l’ouverture du cimetière en hommage à Barry, prédécesseur de la race Saint-Bernard, qui appartenait aux moines de cet hospice situé sur les flancs du col éponyme, poursuit François-Xavier Chaix.Il aurait sauvé, au début du XIXesiècle, 40 voyageurs perdus dans la montagne, et la légende raconte qu’il aurait été tué par la 41e qui l’aurait confondu avec un loup. Ce chien, très célèbre à l’époque, n’est pas enterré ici ; il a été naturalisé et est exposé aujourd’hui au musée d’histoire naturelle de Berne. »
Dans les allées, plusieurs « personnalités » sont enterrées. La plus connue sans doute est le chien acteur Rintintin, qui fit carrière à Hollywood !« C’est un chiot qui a été trouvé dans une tranchée par un soldat américain, qui l’a baptisé ainsi en référence à une petite poupée appelée Rintintin qui était alors vendue à l’arrière du front pour soutenir les Poilus,raconte l’archiviste.À la fin du conflit, ce sammy a ramené avec lui l’animal, qui tournera dans 32 films aux États-Unis entre1922 et1932. »À sa mort, le corps du chien sera rapatrié en France et enterré ici.
D’autres chiens-acteurs ont également leur sépulture dans ce cimetière, comme Poilu, qui a joué dans le film Mon curé chez les riches en 1952. On trouve également plusieurs chevaux de course, comme Troytown, un crack anglais vainqueur du Steeple-chase de Paris en 1919 et mort sur le champ de courses d’Auteuil l’année suivante.
Animaux connus et anonymes, venus de France et d’ailleurs
Chiens de tranchées, chiens policiers… On trouve également bon nombre de bêtes ayant appartenu à des têtes couronnées ou des artistes. Ainsi la princesse Hélène de Roumanie a son chat enterré là, tout comme les animaux de compagnie du compositeur Camille Saint-Saëns, de l’acteur Sacha Guitry ou plus récemment de l’écrivain Michel Houellebecq.
Certaines de ces bêtes viennent également de l’étranger, comme le caniche Tipsy, qui défraya la chronique en 2012. Sa propriétaire, une riche américaine, descendante du fondateur des brasseries Budweiser, avait fait enterrer son chien avec un collier de diamants. La tombe fut profanée pour voler le bijou !
Mais à côté de ces « célébrités », la majorité des chiens, chats, chevaux, mais aussi cochons d’inde, poules, singes, veaux, lapins, tortues ou encore fennecs reposent, anonymes, dans le cimetière. Depuis l’ouverture, plusieurs dizaines de milliers d’animaux ont été enterrés ici. « La 40 000e bête à avoir été inhumée dans la nécropole est un chien errant,raconte François-Xavier Chaix. Il est venu mourir devant les portes du cimetière le 15août 1958. La direction décida à l’époque de lui offrir une sépulture. Elle est toujours visible aujourd’hui. »Car à côté des tombes les plus anciennes, qui représentent un intérêt patrimonial, les concessions tournent, comme dans tout cimetière. Pour enterrer son fidèle compagnon, cela coûte entre 148 et 297 € par an, en fonction de la taille de l’animal.
Un lieu touristique
Depuis le début des années 1990, le cimetière a un statut municipal et est géré par la mairie d’Asnières.« En 1986, la société anonyme propriétaire du lieu était en difficulté», rappelle l’archiviste. Il a été question de fermer le cimetière des chiens, mais face à l’émoi suscité par la nouvelle, la municipalité a décidé de le racheter. Entre-temps, il a été inscrit à l’inventaire des monuments historiques pour son « intérêt à la fois pittoresque, artistique, historique et légendaire ».
Au-delà des 869 concessionnaires référencés, le lieu est ouvert au public, moyennant un prix d’entrée de 3,50 €. Le cimetière des chiens attire chaque année près de 4 000 visiteurs, et on vient parfois de loin pour découvrir cet endroit atypique. Beaucoup de Japonais, mais aussi des Américains, comme le prouvent ce jour-là deux touristes venues de Caroline du Nord : elles ont suivi les recommandations d’un blog d’outre-Atlantique proposant de visiter Paris hors des sentiers battus. La Ville d’Asnières organise également des visites commentées, la dernière s’est déroulée lors des dernières Journées du patrimoine.
"Rêve dans les ruines de Pompéi-Paul-Alfred de Curzon (1866)
La nuée ardente du Vésuve aurait tué les habitant de Pompéi en moins de 20 minutes
Selon une nouvelle étude, la nuée ardente libérée par le Vésuve en l'an 79 aurait englouti Pompéi pendant entre 10 et 20 minutes. Une durée suffisante pour que la majorité de ses habitants ne meurent asphyxiés par les gaz et les cendres.
C'était en l'an 79. Après huit siècles de sommeil, le Vésuve entrait violemment en éruption et projetait un nuage de cendres et de gaz brûlants dans les airs. Les alentours du volcan n'y résistèrent pas. Les heures suivantes, ce sont des milliers d'habitants qui furent tués, des paysages dévastés et des villes dont Pompéi et Herculanum rayées de la carte.
Cette catastrophe demeure à ce jour l'une des plus dramatiquement célèbres de l'Histoire. Mais que s'est-il exactement passé ce jour-là ? Et comment les habitants sont-ils réellement morts ? C'est ce que tentent encore de déterminer les scientifiques et archéologues près de deux millénaires après l'éruption volcanique.
De précédentes recherches ont estimé que le nuage du Vésuve s'était élevé jusqu'à une trentaine de kilomètres et avait déversé quelque quatre kilomètres cubes de pierres ponces et de cendres sur ses alentours. Aujourd'hui, une nouvelle étude publiée dans la revue Scientific Reports vient compléter le tableau.
Selon ces travaux menés par une équipe italienne et britannique, la nuée ardente du volcan italien aurait persisté entre 10 et 20 minutes à Pompéi. Soit suffisamment longtemps pour que la majorité des habitants meurent asphyxiés par les gaz et la pluie de cendres avant d'être atteints par les autres éléments relâchés par l'éruption du Vésuve.
Une coulée moins brûlante et intense ?
Les coulées pyroclastiques sont le phénomène le plus dévastateur des éruptions dites explosives. Comparables à des avalanches, elles sont formées d'un flux dense de particules de température élevée qui dévale à très grande vitesse les flancs du volcan. Selon les recherches, l'éruption de 79 aurait connu deux phases et libéré plusieurs coulées
A Herculanum, qui était situé au pied du Vésuve, les observations ont suggéré que la température et la puissante du phénomène étaient tellement élevées que toute survie était impossible. A Pompéi localisée un peu plus loin, en revanche, les indices laissaient penser que la coulée était peut-être moins brûlante et intense.
Or, sous de telles conditions, une survie pourrait éventuellement être possible si la coulée n'avait persisté que pendant quelques minutes. C'est pour en avoir le coeur net que les scientifiques ont démarré une nouvelle étude en combinant des données collectées sur le site archéologique et les résultats de précédentes recherches.
Ceci leur a permis de concevoir un modèle mathématique pour réaliser des simulations numériques et estimer les paramètres physiques des coulées pyroclastiques. Verdict : les habitants de Pompéi n'avaient finalement que très peu de chances d'échapper aux phénomènes dévastateurs.
17 minutes en enfer
Selon les résultats, le mélange de gaz et de cendres présentait une température avoisinant les 115°C et une pression dynamique légèrement supérieure ou inférieure à 1.000 pascals (Pa). C'est bien moins que les valeurs estimées à Herculanum. Mais à Pompéi, la coulée aurait largement perduré.
Les calculs indiquent qu'elle aurait englouti la ville durant 17 minutes en moyenne. Combinée à la concentration en particules, cette durée semble largement suffisante pour provoquer des effets mortels sur les habitants. En clair, l'asphyxie liée à l'inhalation des cendres seraient la principale cause de décès chez ces derniers.
"Il est probable que des dizaines de personnes sont mortes en raison de la pluie de lapili (les éjectats volcaniques, ndlr) qui est tombée sur Pompéi après l'éruption, mais la plupart sont mortes d'asphyxie", a résumé Roberto Isaia, chercheur à l'Observatoire du Vésuve de l'Institut national de géophysique et de volcanologie (INGV) repris par The Guardian.
"Ces 15 minutes au sein d'un nuage infernal ont dû être interminables. Les habitants ne pouvaient pas imaginer ce qui était en train de se produire. Les Pompéiens ont vécu avec les séismes mais pas avec les éruptions, donc ils ont été pris par surprise et balayés par le nuage incandescent de cendres", a poursuivi le co-auteur de l'étude.
Si cette nouvelle étude précise le scénario de l'éruption, ce dernier comporte encore de nombreuses zones d'ombre, que les archéologues tentent de combler en poursuivant les fouilles sur le terrain. Et près de deux millénaires après, les découvertes se poursuivent au milieu des ruines de la cité disparue.
Comprendre pour mieux prévoir
Néanmoins, ces travaux résonnent aussi dans le présent alors que le Vésuve, de même que de nombreux volcans, demeurent sous étroite surveillance à travers le monde. "Le modèle développé peut être appliqué à d'autres volcans actifs", a confirmé dans un communiqué Roberto Isaia.
"Il est très important d'être capable de reconstruire ce qui s'est produit durant les éruptions passées du Vésuve, à partir des données géologiques, afin de retracer les caractéristiques des coulées pyroclastiques et leur impact sur la population", a renchéri le professeur Pierfrancesco Dellino de l'université de Bari en Italie et premier auteur de l'étude.
"L'approche scientifique de cette étude révèle des informations contenues dans les dépôts pyroclastiques quiclarifie de nouveaux aspects sur l'éruption de Pompéi et fournit des aperçus précieux pour interpréter le comportement du Vésuve, également en termes de protection civile", a-t-il ajouté.
Le volcan napolitain s'est réveillé à plusieurs reprises au XXe siècle. Sa dernière éruption remonte à il y a plus de 75 ans, en 1944. Mais s'il en connaissait une nouvelle, les conséquences pourraient être considérables. Actuellement, quelque 700.000 personnes vivent sur les flancs du Vésuve et quatre millions dans la région environnante.
Ces statues de Vierge à l’Enfant fascinent par leur couleur. Pendant longtemps, on a cru voir, à travers elles, les survivances de déesses-mères celtiques ou égyptiennes. Cette origine est remise en cause.
Combien sont-elles ? Au moins 300 en France, parmi lesquelles celles de Rocamadour et du Puy-en-Velay. Mais il y en a aussi ailleurs en Europe et jusqu’en Amérique latine.
Selon les temps liturgiques, la Vierge noire du Puy est revêtue d’habits différents offerts par des donateurs. Cette statue a donc une garde-robe.
Les explications traditionnelles sur les Vierges noires :
Ma première rencontre avec une Vierge noire remonte à juin 2021. Je découvre l’une des plus célèbres, celle de la cathédrale du Puy-en-Velay. Moi qui pensais ces statues anciennes, j’apprends que celle-ci ne remonte qu’au XVIIe siècle. Elle remplace cependant une Vierge romane, que les révolutionnaires brûlèrent en 1794 dans un grand feu de joie. Les quelque 300 Vierges noires qui subsistent en France sont en fait des miraculés. Beaucoup ont disparu lors de la Révolution ou lors des guerres de Religion. Je me promets donc d’être plus attentif lors de mes prochaines visites.
Un an plus tard, je repère une nouvelle Vierge noire dans la basilique Notre-Dame de Douvres-la-Délivrande (Calvados). Là encore, la statue ne me paraît pas vieille. Quelques explications lui donnent un vernis d’ancienneté. On pense que cette statue est l’héritage d’un culte antique à une déesse-mère de Haute-Égypte. Des légionnaires venus d’Afrique ont ensuite importé ce culte en Gaule.
Vierge noire de Douvres-la-Délivrande (Calvados), XVIe siècle.
Me revient alors en mémoire cette statue fascinante, la déesse Isis allaitant Horus. Comment ne pas être intrigué par sa ressemblance avec nos Vierges à l’Enfant ?
Isis allaitant Horus, VIIe siècle avant J.-C. Walters Art Museum à Baltimore (Etats-Unis)
Les livres que je lis confirment cette double ascendance : les Vierges noires répliqueraient les anciennes déesses-mères des Celtes ou les déités égyptiennes. Selon l’archéologue Marie Durand-Lefebvre, on retrouve à travers ces Vierges noires la survivance d’idoles païennes glorifiant la Terre, noire et féconde. Encore une preuve de la continuité entre paganisme et christianisme.
Depuis longtemps, je me méfie cependant des arguments en faveur de cette continuité. Dans un précédent article, j’avais par exemple démontré que les églises ne succédaient pas systématiquement à des temples païens, comme on le répète un peu trop souvent. Les auteurs sur les Vierges noires nous abuseraient-ils aussi ?
Mes doutes sur les hypothèses celtique et égyptienne :
Quelques indices sèment en effet le doute. Déjà les premières statues de Vierges à l’Enfant (et donc a priori les premières Vierges noires chrétiennes) apparaissent assez tard, au Xe siècle. Les plus récentes déesses mères retrouvées par les archéologues remontent au IIIe siècle. Autrement dit, il y a un gros vide documentaire (700 ans !) entre les déesses païennes et les Vierges à l’enfant. La filiation n’est pas donc si évidente. On pourra cependant répliquer que l’Église s’est acharnée à détruire les idoles. D’où leur absence.
Cependant, avant le XVe siècle, aucun texte, aucune enluminure ne nous signale l’existence de Vierges chrétiennes sombres. Comme si elles n’existent pas encore.
Auteur d’un livre sur les Vierges noires, l’historienne Sophie Cassagne-Brouquet ajoute un nouvel argument qui trouble nos certitudes sur une origine celtique. En France, les Vierges noires se concentrent en Auvergne et en Roussillon. Deux régions particulièrement touchées par la romanisation. Rappelons notamment l’appartenance du Roussillon à Rome depuis les années 120 avant J.-C. soit bien avant la conquête de César. Les découvertes archéologiques prouvent aussi l’importance de la culture romaine en Auvergne par rapport aux régions au nord de la Loire. Autrement dit, on trouve beaucoup de Vierges noires dans des régions romanisées. Alors qu’en Bretagne, région traditionnellement associée aux Celtes, elles sont presque inexistantes.
Autant d’arguments qui font réfléchir.
Les remises en cause des années 1930-1950 :
En 1933, l’historien Louis Bréhier étudie une Vierge noire d’Auvergne : datée du XIIe siècle, elle appartient alors à un collectionneur privé qui la fait restaurer. Son nettoyage révèle que derrière la couleur noire des visages se cachent des tons naturels. La Vierge et son enfant affichent de belles joues roses !
Les découvertes de ce genre se multiplient. À Orcival, on vénérait une Vierge noire. Mais en 1959, le restaurateur se rend compte que sous une couche noire, la Vierge, polychrome, présente une jolie carnation beige-rosé !
Quand j’ai photographié la Vierge noire d’Orcival, cette œuvre romane ne paraissait pas du tout noire effet.
Ces Vierges ont donc été noircies. Dès lors, les spéculations vont bon train. Est-ce à cause de la fumée des cierges ? Est-ce que toutes les Vierges noires étaient en fait polychromées à l’origine ? On se demande si l’assombrissement de certaines statues n’est pas naturel. Le bois a peut-être vieilli. Ou il s’est oxydé (des statues romanes étaient en effet recouvertes de plaques d’argent).
Pour l’historienne Sophie Cassagnes-Brouquet, on s’engage sur de mauvaises pistes. Car la coloration de ces statues n’est pas fortuite. Elle est volontaire. À une époque située entre le Moyen Âge et le XIXe siècle, on a peint en noir ces statues !
Pourquoi peindre en noir ? :
L’application d’une telle couleur surprend. Comme le rappelle l’historien des symboles Michel Pastoureau, le noir est associé à la nuit, à l’enfer et au diable. Tout le contraire des Vierges à l’enfant. Cependant, le médiéviste note, à la fin du Moyen Âge, un noircissement de certains personnages de la Bible dans les peintures et les sculptures : Balthazar, l’un des rois mages, et la reine de Saba, qui rencontra Salomon. Dans la cathédrale de Magdebourg (Allemagne), saint Maurice est représenté noir au XIIIe siècle.
Statue de Balthazar, un des rois mages. Sculpture de la cathédrale de Strasbourg, vers 1502-1503, par Hans von Aachen (Jean d’Aix) en grès rose, aujourd’hui conservée dans le musée de l’Oeuvre-Notre-Dame
N’aurait-on donc pas donné à certains visages une teinte sombre afin de coller à leur origine orientale ? C’est l’hypothèse de l’historien de l’art Xavier Barral I Altet. Certaines Vierges noires sont censées provenir d’Orient. On racontait que des croisés, notamment saint Louis, les avaient ramenées en Occident. La couleur noire leur donnait une origine très ancienne et lointaine. Or, une statue qui paraît venir de Terre sainte ne peut qu’exciter la ferveur des fidèles.
À propos de l’ancienne Vierge noire du Puy, l’historienne Sylvie Vilatte est plus précise. Pour elle, le noircissement intervient au XIVe siècle. Cette transformation correspond au développement d’une légende tardive selon laquelle le prophète juif Jérémie sculpta cette statue à Jérusalem ou en Égypte. Elle préfigurerait la Vierge Marie. Mais ce n’est pas tout. Toujours selon la chercheuse, le noircissement de la statue obéirait à une stratégie de conversion des musulmans. Au XIVe siècle, les chrétiens viennent de perdre les derniers États latins implantés en Terre sainte. À défaut d’une soumission des Infidèles par les armes, l’évêque du Puy compte sur la Vierge noire pour les convertir. Son physique oriental pourrait bien les séduire.
La plus ancienne représentation d’une Vierge noire en Occident. Elle se trouve à l’intérieur d’un livre d’heures, daté de 1470. Elle figure la Vierge du Puy. Donc à cette date, elle était déjà noire. Est-ce dans l’objectif de plaire aux musulmans ? Manuscrit de la Bibliothèque nationale d’Autriche, cod. 1853, fol.35.
Cette hypothèse me paraît tirée par les cheveux, mais elle approfondit une piste à mon avis tout à fait valable : en transformant la Vierge du Puy, l’Église cherche à l’orientaliser et donc à la sanctifier davantage.
La science est en train de confirmer le caractère volontaire du noircissement.
Les scientifiques s’en mêlent :
En 2021, un groupe scientifique composé d’une ingénieure physico-chimiste, d’une sculptrice restauratrice et d’un historien de l’art, analyse la célèbre Vierge de Rocamadour. La datation au radiocarbone fait remonter l’objet à une date comprise entre 1160 et 1270. Il a été plusieurs fois modifié, notamment aux XVIe ou XVIIe siècles par l’application d’une teinte noire
La Vierge de Rocamadour, en bois, aujourd’hui datée du XIIe ou XIIIe siècle, soit au début du sanctuaire de Rocamadour (Thérèse Gaigé/Wikimedia Commons).
D’une autre étude, encore partielle, il ressort que les statues (autant celles du Christ que de la Vierge) n’étaient pas noires à l’origine. Elles étaient en bois polychrome avant d’être recouverte d’une couche noire (notamment composée de noir d’os et de pigments silicatés verdâtres).
Conclusion sur les Vierges noires :
L’origine païenne des Vierges noires est donc peu assurée. « Beaucoup de Vierges polychromes ont été peintes en noir à une époque indéterminée qui s’échelonne entre la fin du Moyen Âge, où nous trouvons dans les chroniques les premières mentions incontestables de Vierges noires, et la première moitié du XIXe siècle », conclut l’historienne Sophie Cassagnes-Brouquet.
Les raisons de ce noircissement restent incertaines, mais plausibles. Pour Sylvie Villate, la transformation de la Vierge du Puy en Vierge noire au XIVe siècle a lancé une mode à travers le Massif central. Selon l’historien de l’art Térence Le Deschault de Monredon, « il apparaît assez clairement que l’on a voulu créer, à partir d’une vierge romane d’un type très commun en Auvergne et dans le Velay, une statue qui aurait l’apparence d’un objet rare provenant d’une civilisation à la fois riche et lointaine ».
À cette question des Vierges noires, je me garderai d’une conclusion définitive. Des études sont en cours. Éclairer l’histoire de certaines Vierges noires ne vaut pas un verdict général. Chaque objet a son histoire.
La Vierge noire de Notre-Dame de Liesse (XIXe siècle). Comme au Puy-en-Velay, la précédente fut brûlée à la Révolution (Vassil/Wikimedia commons)
Ainsi, dans la basilique Notre-Dame de Liesse (Aisne), la statue aurait été apportée par trois croisés. Prisonniers du sultan d’Égypte, ils auraient été délivrés par sa fille Ismeria, à qui ils montrèrent une statue de la Vierge apparue miraculeusement. La princesse se convertit et fuit en Occident avec les trois croisés. La statue fit bien sûr partie du voyage. Une copie trône aujourd’hui dans l’église de Notre-Dame de Liesse. Vraie histoire ou légende ? De tout temps, l’Orient et son parfum de mystère ont enflammé l’imagination. Ne l’oublions pas.
La cité belge a joué un rôle de tout premier plan au moyen-âge en servant de place d’échange internationale et de bourse ou se rencontraient grands marchands du monde entier.
Se protéger des Vikings
Bruges est une ville plutôt récente. Les plus anciennes traces d’habitation remontent au 9ème siècle. À l’époque, le bord de mer est la cible des vikings qui pillent et sont craints par les populations locales.
Pour remédier à la situation le comté de Flandres est instauré par Baudouin. Au centre de ce nouveau territoire, Bruges est la place forte qui protégera les habitants. Situé sur un bras de mer la ville « Bryggia » qui signifient « lieu de mouillage » en norrois donne le nom que nous connaissons actuellement à la ville.
La place principale (le Burg) est créé. Des routes sont construites de même que la première cour de justice.
La mer du Nord, opportunité commerciale
La Grand Place, carrefour commercial depuis le Moyen-âge
C’est l’accès direct à la mer qui permettra à Bruges de se transformer en ville florissante. Au début du 11ème siècle, le Burg est un port connu et la ville est suffisamment protégée pour que les attaques vikings stoppent. Les canaux sont alors construits tout comme les murs actuels de la cité. Une petite dynastie de châtelains facilite le développement de la cité.
En 1134, une forte inondation creuse un chenal plus important jusqu’à la mer du Nord. C’est l’occasion pour la ville de renforcer ce qu’à fait dame Nature. Une grande digue (damme) est gagnée sur la mer. En réalisant cette opération de génie civil, le petit port local peut désormais viser grand.
Quand les français s’en mêlent
En 1300, la Flandre est rattachée à la France. Souhaitant lever un impôt supplémentaire, le roi Philippe IV le Bel se heurte à la colère des brugeois qui, en représailles, assassinent tous les français de la ville. Ce sont les terribles matins de Bruges (Brugse Metten).
L’épisode se termine par la bataille des Éperons d’Or à Courtrai le 11 juillet 1302 et la victoire des flammands.
Place marchande internationale
Bâtiments de la Guilde des Archers de Saint-Sébastien
La place centrale (à l’époque) de la cité attire les marchands des mers : gascons, anglais, suédois trouvent à Bruges un lieu d’échange commercial très pratique pour leurs affaires.
Au tout début du 13ème siècle, Bruges améliore encore sont intérêt commercial avec la levée de certaines taxes par le comté de Flandres qui souhaitent renforcer l’attrait de la cité. Les commerçants d’Allemagne puis d’Italie, du Portugal, de l’Espagne deviennent des utilisateurs réguliers des services de la ville.
Bruges, Première bourse européenne
Au 13ème siècle, la première bourse européenne voit le jour. Les principaux acteurs se réunissent devant la maison des Van des Buerse (qui donnera plus tard le nom de bourse). Les monnaies de tout le monde civilisé s’y échangent tout comme les prix à venir des marchandises en transit ou en production à l’autre bout du monde. En parallèle de cette invention, tout un écosystème autour de la finance se met en place.
Lieu incontournable du commerce européen, Bruges voit sont apogée entre le 12ème et le 15ème siècle.
Le déclin de la cité
Au 16ème siècle, la ville compte 100000 habitants mais les belles années sont déjà derrière elle. L’accès à la mer devient de moins en moins praticable et la baie du Zwim s’ensable inéluctablement jusqu’à empêcher les bateaux de venir jusqu’en ville. Plusieurs tentatives de désensablement ne suffiront pas au marchandes pour revenir. Le commerce diminuant la ville perd un certain nombre de ces privilèges.
Anvers devient alors la première ville de Flandres.
Un timide renouveau
Les 3 prochains siècles ne verront pas d’améliorations majeures au profit de la ville et ce n’est qu’avec la construction du nouveau Bruges avec port et canal avec les moyens modernes en 1907 que Zeebrugge situé en bord de mer permettra à la ville de sortir de sa torpeur commerciale : Le port de Zeebrugge est aujourd’hui une importante plateforme d’échange maritime.
La station balnéaire et la plage de Zeebrugge
À seulement 30 petites minutes du Bruges historique, relié par le canal Baudouin (12km de long) se trouve Zeebrugge. Cette extension de la ville avec son accès direct à la mer du Nord montre une toute autre facette de Bruges : une Bruges industrieuse, gourmet et tournée vers les loisirs maritime.
Zeebrugge, le port international
Construit dans une région de polders, Zeebrugge est une extension récente de la ville. Au début du 20ème siècle, Bruges a la volonté de se doter d’un vrai port maritime. Ces déboires des siècles passés liés à l’ensablement des canaux ont convaincu les responsables politiques d’alors que construire un tout nouveau port moderne, capable d’accueillir de gros bateaux est indispensable. Zeebrugge était né.
Port de Zeebrugge
Le port est aujourd’hui incontournable dans le paysage belge aussi bien pour la plaisance, la défense que l’économie.
L’intérêt touristique du port est néanmoins vivace. Les deux guerres mondiales, les travaux de construction et de reconstruction, un sous-marin russe ouvert aux visiteurs ou encore l’attrait pour le tourisme industriel fournissent beaucoup de contenu à faire partager aux visiteurs. Il est ainsi possible de réaliser des balades en bateau afin de mieux comprendre comment fonctionne un port majeur d’Europe.
Zeebrugge, la « capitale du poisson »
Avec les yeux tournés vers la mer, les restaurateurs locaux ne pouvaient proposer que des poissons. Sous une multitude de formes et agrémentés façon belge : anguilles, crevettes, sole, turbot en bouillon ou en pot-au-feu agrémenté pourquoi pas de houblon. Dans les menus, l’incontournable est le waterzooi.
C’est l’avantage des villes qui disposent d’un port : le poisson est ultra-frais et les restaurants ont un accès direct aux fruits de la pêche via la criée locale.
Zeebrugge, la plage et la station balnéaire
Jour de vent sur Zeebrugge
Avec la plus grande plage de Belgique, Zeebrugge dispose d’un atout pourtant méconnu. Ici, on a l’impression que les gens se connaissent tous et l’ambiance y est familiale. L’immensité de la plage (et le fait qu’elle soit très plate) permet de pratiquer toutes sortes d’activités sans déranger ses voisins de serviette : kitesurf, char à voile.
La plage est surveillée en été et dispose de douches et vestiaires. Seul point de vigilance : comme la plage est très plate, la mer remonte très vite à marée montante.
Le waterzooi
Plat signifiant « cuit dans l’eau », le waterzooi (ou waterzoï) est un bouillon de morceaux de viandes ou poissons plus ou moins fins accompagné de ses petits légumes. Servi dans une assiette à soupe, c’est un peu la bouillabaisse du nord.
Waterzooi de poisson
Brugge 1900 "dentellière au Béguinage"
Petite histoire du Béguinage de Bruges
L’histoire du Béguinage de Bruges, dit le « béguinage de la vigne » (« De Wijngaard » en flamand) commence en 1225. Un groupe de béguines s’installent juste en dehors de la ville, au bord d’un cours d’eau. Pour vivre, elles travaillent la laine pour le compte de tisserands brugeois : Vingt ans plus tard, en 1245, Marguerite de Constantinople, comtesse de Flandres, apporte soutien et protection au béguinage, qui devient une paroisse indépendante : Au cours des siècles suivants, le béguinage s’agrandit, s’enrichit et finit par être intégré à la ville de Bruges, qui s’étend elle aussi. L’origine des béguines évolue également : d’abord ouvert aux plus démunies, le béguinage ne sélectionne plus ses nouvelles recrues que dans les rangs de l’aristocratie : La Révolution française porte un coup fatal au béguinage : bien qu’il soit rouvert au début du XIXème siècle, il ne retrouvera jamais son prestige d’antan. Le déclin est inévitable et la dernière béguine de Bruges disparaît en 1930. Depuis les années 1920, le béguinage est occupé par une communauté de religieuses bénédictines....En 2002, le Béguinage de Bruges est inscrit au Patrimoine mondial de l’UNESCO.
Abonnés du téléphone : priés de
désigner en 1897 leurs correspondants
par leur numéro
(D’après « Les Annales politiques et littéraires », paru en 1897)
Publié / Mis à jour leLUNDI14 NOVEMBRE 2022, par REDACTION
C’est en 1897, dans une société ne comptant alors qu’un nombre restreint d’abonnés au téléphone, que le gouvernement enjoint les usagers de ne plus désigner les correspondants avec lesquels ils souhaitent entrer en communication, que par leur numéro, et non leurs coordonnées postales. Un bouleversement raillé par un chroniqueur du temps qui y voit en outre une nouvelle forme d’esclavagisme.
La circulaire émanait de Jean-Baptiste Delpeuch, alors sous-secrétaire d’État au Commerce, à l’Industrie et aux Postes et Télégraphe dans le gouvernement Jules Meline. Un journaliste des Annales politiques nous explique qu’adressée à tous les abonnés du téléphone, elle n’est pas, il faut bien l’avouer, sans avoir causé à ces derniers une inquiétude dont l’honorable sous-secrétaire d’Etat sera le premier, nous en sommes convaincus, à comprendre les motifs. Le document dont il s’agit apporte, en effet, deux nouveautés notables.
Voici la première : « Vous voudrez bien, est-il enjoint aux abonnés, lorsque vous demanderez une communication avec un abonné directement relié à un bureau de Paris, indiquer, non plus le nom et l’adresse de votre correspondant, mais le numéro sous lequel ce dernier sera inscrit dans la liste. »
C’est-à-dire, par exemple, explique notre chroniqueur, que si vous désirez communiquer avec M. Durand, avenue des Champs-Elysées, vous ne direz plus à la téléphoniste : « Donnez-moi M. Durand, avenue des Champs-Elysées. » Elle ne comprendrait pas. Elle ne connaît pas M. Durand et ne sait pas s’il existe des Champs-Elysées. Elle n’a aucun moyen d’acquérir ces renseignements qui lui manquent. Vous devrez donc prendre votre liste des abonnés, espèce de Bottin que l’administration vous aura fourni, et y chercher le numéro sous lequel est inscrit M. Durand.
Vous objectez que vous n’avez pas ce volumineux bouquin dans votre poche, que vous perdrez un temps précieux a le retrouver dans vos papiers ou dans votre bibliothèque, et ensuite à le feuilleter pour y découvrir l’indication exigée. C’est votre affaire ! Pas de numéro, pas de communication. Ce n’est pas tout. Vous aurez soin de l’énoncer, ce numéro, « lentement et distinctement », attendu que les téléphonistes ont parfois l’oreille dure, « et en le décomposant en deux groupes dont le premier comprend les trois premiers chiffres », car ces demoiselles pourraient s’embrouiller dans cette arithmétique.
Si vous vous y embrouillez vous-même, si vous oubliez un chiffre pendant le temps que vous attendrez qu’on ait daigné répondre à votre appel, eh bien ! Vous reprendrez votre Bottin et tout sera à recommencer. Mais vous aurez la satisfaction de savoir que vous avez, « en simplifiant le service, contribué à l’accélérer ».
De cette louable préoccupation de la rapidité du service vous aurez une autre preuve, lorsqu’au lieu de demander une communication vous serez prié d’en recevoir une. C’est le second point de la circulaire. « Il est essentiel, y lisons-nous, de répondre dès le premier appel du bureau, sinon la téléphoniste qui a fait l’appel se retire et avertit l’appelant de la non-réponse de l’appelé. » Vous voilà donc condamné à vivre en tête-à-tête avec votre appareil, sans oser même passer un instant dans une autre pièce de votre appartement. Il ne suffira pas de préposer au téléphone un employé spécial, — ce qui déjà augmenterait singulièrement les frais ; avant qu’il ait eu le temps de vous aller quérir, la téléphoniste sera rentrée sous sa tente. Et tout sera perdu par un retard de quelques secondes.
Vous n’aurez aucun recours. « Si plus tard, dit la circulaire, celui-ci (l’appelé) se présente à l’appareil, il ne trouve plus aucun correspondant, et, s’il appelle à son tour, la téléphoniste qui lui répond et qui n’est pas celle qui l’avait sonné, ne peut lui fournir aucun renseignement. » Vous êtes prévenu : inutile d’insister. Comment voulez-vous que l’administration accélère le service, si elle perd son temps à répondre aux abonnés ? La véritable simplification est de ne pas les écouter.
Telles sont les mesures qui, si nous les avons exactement interprétées et si elles sont maintenues, vont achever de rendre enviable l’existence de l’abonné du téléphone ! Cette invention a déjà contribué à accroître le nombre des maladies nerveuses ; elle nous rendra fous. M. Delpeuch est un homme de progrès !
Les demoiselles du téléphone au sein d’un bureau téléphonique parisien en 1904
Et savez-vous quelles seront les conséquences de ce nouveau régime ? Il amènera un changement radical dans les habitudes de la vie civilisée. Voici, si l’on en croit Bill Sharp, comment seront rédigés, l’année prochaine, les échos mondains :
« Hier, nous dînions chez nos vieux amis, les 102,93 ; soirée charmante, animée, égayée par une foule de jolies femmes et de personnalités bien parisiennes. Qui citerai-je ? A la droite de la maîtresse de la maison, le célèbre académicien 88,05, qui contait son voyage en Palestine ; à sa gauche, le vieux général 56,720, toujours vert malgré les ans. Puis, remarqué, çà et là, 202,35, le jeune romancier psychologue, et notre éminent confrère 43,102, discutant âprement le cas de ce pauvre prince 36,001, dont la femme est partie avec un tzigane du restaurant 58,12 ; la toujours belle Mme 70,619, en corsage de velours vert-macchabée ; la jolie petite comtesse 26,569, toute en velours noir pailleté ; et d’autres dont j’ai oublié les chiffres.
« Après le dîner, merveilleusement servi par 207,12, l’ancien chef de l’empereur de Russie, une soirée réunissait l’élite du monde artistique et littéraire ; on a entendu successivement Mlle X..., de la Comédie-Française (impossible de la nommer autrement, elle n’a pas encore le téléphone, mais vous voyez qui je veux dire), puis Félix 110,025, dans ses monologues. On s’est séparé très tard, en se donnant rendez-vous au mois prochain. Il est rare de trouver ainsi réunis les matricules les plus estimés de l’Annuaire des téléphones. Terminons en annonçant les fiançailles du capitaine 27,110 avec Mlle 105,17. Ce mariage unit les familles 40,271, 54,106 et 112,95. Tous nos compliments aux jeunes fiancés. » Source